
Raphaël Besson
Raphaël Besson est expert en socio-économie urbaine et docteur en sciences du territoire. En 2013, il fonde Villes Innovations un bureau d'étude localisé à Marseille, spécialisé dans les stratégies d'innovation urbaine et les politiques de transition territoriale. Chercheur associé au laboratoire PACTE-CNRS, ses travaux portent sur les Tiers Lieux, les politiques culturelles territoriales, les politiques d'innovation urbaine, et les approches repensant les relations homme/nature/vivant dans la fabrique urbaine et territoriale.
Le Cabanon Vertical, les nouvelles règles de la méthode urbanistique
Le Cabanon Vertical s’inscrit dans une nouvelle génération d’architectes, d’urbanistes, de paysagistes, d’artistes, de designers ou encore de constructeurs, qui tente de renouveler les modalités théoriques et pratiques de la fabrique urbaine. La nouvelle poétique urbaine proposée par Le Cabanon Vertical est fondée sur la coopération, la transdisciplinarité, le prototypage, l’expérimentation, le non-programme, le transitoire, l’éphémère, l’économie des moyens et la culture ancrée dans l’espace public. Loin des logiques de programmation et de planification, Le Cabanon Vertical invente de nouvelles installations et scénographies urbaines au fil des rencontres, des lieux et des situations. Le Cabanon Vertical fait confiance à l’improvisation, aux situations et aux individus. Mais le collectif propose aussi de nouvelles règles urbanistiques, qui consistent à s’inspirer des méthodes de l’anthropologue et du médiateur, et à s’engager dans un activisme doux, une micro-politique du quotidien.
Une démarche d’anthropologue
Le Cabanon Vertical emprunte à l’anthropologie une méthode de production fondée sur le terrain. Les architectes du Cabanon s’immergent, observent et participent, afin de comprendre de l’intérieur l’univers spatial, social, symbolique et imaginaire des territoires. Avec Le Cabanon Vertical, il n’existe pas de modèle a priori, qu’il soit théorique, social ou spatial. L’enjeu est de faire la ville in situ, plutôt que de plaquer des hypothèses architecturales ou sociétales pré-définies, indépendamment des ressources, des matériaux, des savoir-faire, des usages et des individus. Il y a chez Le Cabanon Vertical une aptitude à s’immerger dans les situations réelles, à saisir les opportunités, et à transformer les contraintes en sources d’inspiration. Le Cabanon Vertical cultive le déjà-là et une certaine errance méthodologique consistant à se laisser porter, flotter. Cette méthode de conception par l’immersion, la coopération et l’expérimentation, permet d’inventer ici et maintenant des dispositifs architecturaux créatifs et ingénieux vis-à-vis de défis urbains et socio-économiques inédits. Par ailleurs, et à l’instar de la démarche anthropologique, Le Cabanon Vertical prend comme objet d’investigation des unités sociales et spatiales de faible ampleur, à partir desquelles le collectif tente d’élaborer une nouvelle esthétique urbaine. Cabanon Vertical fait de « l’acupuncture urbaine » et s’intéresse à « l’hyper-qualitatif », aux « micro-détails ». Pour le Cabanon, l’enjeu de l’urbanisme contemporain réside moins dans la construction de grands objets architecturaux, que dans la mise en œuvre de dispositifs « micro-urbains » ou « micro-architecturaux » aptes à créer du lien social et des communautés.
Une posture de médiateur
L’œuvre du Cabanon Vertical ne porte pas sur l’édification d’architectures totémiques, mais sur la création de « sculptures-lieux ». Ces « sculptures-lieux » ont vocation à « créer du désir » et aménager des espaces relationnels et conviviaux au cœur des villes. Dans ce processus, le rôle des architectes du Cabanon consiste moins à créer, construire ou concevoir, qu’à coordonner et déclencher une dynamique d’échanges entre des individus et des communautés. Ces derniers se rêvent en médiateurs ou en « maîtres ignorants »1. Ils cherchent avant tout à faciliter les liens, en créant des espaces de coopération et d’expérimentation propices à l’émancipation. Pour cela, ils inventent de nouveaux outils comme la balade commentée, la boite à idées, la carte sensible, l’esquisse martyre, le chantier éducatif ou des guides pratiques et utiles à la création d’espaces transitoires et partagés. L’objectif est que tout un chacun ait accès au code source de la fabrique urbaine, et soit libre d’exprimer son imaginaire et ses capacités créatives. Dans cette ingéniosité du quotidien, Le Cabanon Vertical tente de révéler aux individus la possibilité de devenir des acteurs à part entière de leur ville et de leur devenir.
Un activisme doux
En incitant les individus à agir et à créer dans leurs espaces du quotidien, Le Cabanon Vertical défend un activisme doux ou « d’intensité quotidienne »2. Cet engagement se différencie d’un militantisme politique traditionnel. Il est humble, diffus, invisible. Mais il s’inscrit dans une diversité de lieux, d’espaces publics et de situations sociales. Il bâtit ici et maintenant des espaces publics permettant aux individus d’échanger, de fabriquer et de créer en commun. Des espaces d’en bas de chez soi, qui ouvrent la possibilité d’une réappropriation par le bas des infrastructures et des politiques urbaines. Dans cette critique par le faire et cet engagement dans une micro-politique du quotidien, Le Cabanon Vertical ne cherche pas à changer le monde de manière radicale. La tactique est plus subtile et l’hypothèse forte. Elle réside dans le postulat suivant : que les micro-expérimentations, les micro-politiques et les micro-solutions inventées dans les installations du Cabanon, auront cette capacité, par effet d’accumulation, à transformer le régime dominant de production urbaine, sociale ou culturelle.
Raphaël Besson
Directeur de Villes Innovations et chercheur associé à PACTE
Août 2021